Ce jeudi 11 mai 2006 ...
On m’a dit que c’était par intuition , mais non .
C’est par flemme que je ne suis pas remontée à Lyon cette semaine là . Je m’en félicite encore .
1er Jour .
La lumière qui pénètre dans la chambre . Trop forte , trop vive . Je crois que je suis réveillée depuis quelques minutes déjà , mais je suis encore trop endormie pour bien réaliser que c'est ma grand mère qui me tends le téléphone que je saisis sans trop de conviction.
« -Mh ?
-C'est Maman , ma chérie . »
C'est Maman , oui . En pleurs . Aussitôt , je pense qu'il est arrivé quelque chose à mon petit frère , mais elle continue .
« C'est Papy Jean-Claude . Il .. Il est MORT !! »
Sa voix se brise un peu plus , moi je reste le regard fixe . C'est une information trop dure à imprimer de si bon matin , trop dure à imprimer tout court . Je reste silencieuse tandis que ma grand-mère me caresse l'épaule . Je pense aussitôt à ma soeur . Et ma cousine surtout . Après tout , il l'a élevée ...
« Tu es là ? Ça va ?
-Oui .
-Il va falloir aller chercher ta soeur et ta cousine à l'école . Les faire manger aussi . Tu peux t'en occuper ?
-Oui . Mais , je dois leur dire ? Je leur dis ça comment ? »
Ma voix est lointaine , je ne comprends pas . Ma mère m'annonce qu'elle va rentrer quelques instants pour venir les chercher avec moi . Je raccroche , ma grand-mère me laisse seule , et je regarde le mur . Mon ange me renvoie un regard déterminé duquel je ne veux pas détourner les yeux . Si je bouge , la maison explose , les murs s'effondrent , un sirène retentira .
J'ose enfin bouger le muscle , j'attrape mon téléphone . J'envoie un message à Alessandra , Faustine et Marjolaine . Ma main commence à trembler . L'écrire , ça me fait bizarre , même si ça me parait tout aussi irréel . Si mes muscles sont bloqués , mon cerveau fonctionne à plein régime . Ce n'est pas possible . Juste PAS possible . Je l'ai vu la veille , tout allait bien . Il avait 65 ans , il n’avait pas de maladie , rien . Juste sa foutue cigarette qu’il fumait trop , et son travail à l’imprimerie . Le plomb , le saturnisme , tout ça . Pourtant , c’est trop improbable . Le téléphone sonne . C’est Alessandra . Elle prend de mes nouvelles , s’inquiète , et ça me fait du bien de parler . Pourtant je ne pleure pas , j’y arrive pas . Je ne réalise pas , même si ma voix doit toujours être un peu lointaine . Avant de raccrocher , je la remercie , lui dit que je l’adore , chose que je n’avais jamais fait avant , du moins pas au téléphone . Je n’ai pas l’habitude de dire je t’aime aux gens . Et pourtant , la veille , je lui ai dit , je l’ai embrassé . C’est peut-être à ça que je me raccroche . Savoir que je n’ai rien à regretter sur ce plan là . Mes dernières paroles ont été les bonnes , bien involontairement . C’est un tel soulagement pour moi de penser à ça que je vais y repenser régulièrement .
Le téléphone sonne à nouveau . C’est Papa . J’ai eu peur de l’appeler , et mes mains tremblent plus que jamais en décrochant .
« Ça va ma puce ? Il … »
Il éclate en sanglots . C’était son Papa à lui , alors c’est normal . Mais moi , je ne réalise pas la mort , elle m’est trop abstraite . J’entends juste mon père pleurer de l’autre côté du combiné , ces sanglots déchirants auxquels je ne peux rien faire . C’est de l’entendre dans cet état qui me fait craquer . Je pleure parce que mon père pleure . C’est tout . Il va venir . J’ai un flash affolé , lui recomande la plus grande prudence sur la route . Parce qu’on ne sait jamais . Il me promet de faire attention , raccroche . Je sèche mes larmes dans ma peluche , vivement , rageusement . Ma mère arrive juste à ce moment . Elle a les yeux rouges . Je me lève , m’habille en vitesse . Moi , je peux gérer , je lui dis . Il faut s’occuper des plus jeunes .
Nous allons chercher ma sœur et ma cousine , et j’ai peur , tellement peur de devoir leur dire . J’attends nerveusement dan le bureau du surveillant qui est parti les chercher en classe . Elles arrivent enfin , l’air affolé .
« Qu’est-ce qui a ? »
Ma mère leur dit . Ma sœur fond aussitôt en sanglots dans ses bras . Ma cousine recule d’un pas , me regarde .
« C’est pas possible … Hein ? »
Je la prends juste par le bras , la conduit dehors . On marche silencieusement .
« Mais hier je l’ai vu … »
Un petit rire nerveux . Puis elle se jette dans mes bras en pleurant . Je la berce . Je ne sais pas ce qui se passe avec ma sœur et ma mère , mais je sers ma cousine plus fort .
On rentre à la maison . Maman doit retourner au travail , à moi de m’occuper des plus jeunes . On s’affale dans le salon . Je met la télé en route , on se met soudainement à parler de ça , d’autres choses . Les bébés chats se réveillent à point nommé et détendent un peu tout le monde avec leurs pitreries . Pour l’instant , seule la seconde compte . En fait , en se focalisant sur d’autres choses , on arrive à ne pas y penser . Mes grands-parents maternels nous préparent à manger . J’aurais du le faire , mais je me sens trop lasse , et je me laisse porter comme une petite fille .
Il faut enfin aller le voir , voir Mamie Nadette . La maison n’est qu’à 300 mètres , il fait beau , un soleil magnifique . Je chante dans la rue déserte pour ne pas laisser l’angoisse s’emparer des plus jeunes . Chaque pas nous approche un peu plus de la difficulté .
La vigne , enfin l’ancienne vigne , est remplie de voitures . Nous entrons dans le salon . Mes tantes sont là , mon oncle , ma grand-tante que je connais à peine aussi , . Pauline va voir sa mère , Justine et moi allons voir Mamie qui s’effondre dans nos bras .
« Qu’est-ce qu’on va devenir , qu’est-ce qu’on va devenir … »
Tout le monde s’embrasse , et je ne peux m’empêcher de penser bêtement aux vieux films italiens de mafia . Manquerait que la musique . Ma sœur pleure à nouveau , moi je rassure Mamie .
« Ça va aller . On habite tous tout près , tu seras jamais toute seule . »
C’est vrai , on peut dire qu’il y a une part de chance dans cette tragédie .
Papy est étendu dans sa chambre . Je n’ose pas y aller encore , je veux attendre Papa . Je ne supporte pas d’être à l’intérieur , alors je sors l’attendre dans la rue . Sa voiture arrive , il me prends dans ses bras . S’effondre . Mon père , celui qui me protège toujours de ses grands bras et de son étreinte rassurante , n’est plus qu’un petit garçon , encore plus qu’il ne le parait d’ordinaire . Les rôles s’inversent , pour cette fois . Ma gorge est serrée , mais je ne pleure pas.
Je le laisse entrer dans la maison , attends dans un coin qu’il embrasse tout le monde . Mamie raconte comment elle l’a trouvé , allongé sur le lit , du sang coulant du nez . Hémorragie interne , selon ma grand cousine Cathy , médecin . C’est ma tante Isa qui l’a habillé , l’a replacé sur le lit . J’ai un pauvre sourire . Dans le livre que je lis en ce moment , la guérisseuse du Clan se nomme Iza . Elle demande si on veut le voir . Mon père acquiesce . J’hésite trois secondes .
« Je viens .
-Moi aussi . »
Ma cousine se lève à ma suite . J’ai une boule d’angoisse au fond du ventre , mêlée à une curiosité malsaine que je me reproche à peine . Comme toujours dans les moments difficiles , je ne suis que l’héroïne d’un roman . Parce qu’elles arrivent toujours à s’en sortir .
« N’ayez pas peur , il n’avait pas mis son dentier ! » s’exclame ma grand-mère , ce qui me fait rire nerveusement . Ça sera pas la première fois que je le verrai sans .
On entre dans la chambre . Il est allongé en travers du lit , le teint cireux , le bras droit tendu parce que le corps était trop raide déjà pour le replier . Je regarde mon père éclater encore en sanglots sur mon épaule , ma cousine dont le teint devient livide . Mon père se penche pour l’embrasser . Moi aussi , même si je me demande depuis ce matin si j’en aurai le courage . Mais il faut que je le trouve , si je ne veux vraiment aucun regret , je le sais .
C’est froid … Je le dévisage . Je regarde sa position , les plis sur ses vêtements . L’odeur de mort ne me choque pas outre mesure , j’y suis habituée puisque je passe souvent près de la morgue à l’hôpital . Je ne vois pas un être humain . Mon Papy , ce n’est pas ce corps allongé , là . Non . Je le regarde comme je regarde les modèles du cours de dessin , exactement . Un objet . Je le dessinerai d’ailleurs . Mais ce n’est plus un être de chair que j’ai devant moi . Il est ailleurs . Où je ne sais pas exactement , mais ailleurs .
Ma sœur entre dans la chambre , mais ressort aussitôt en courant en poussant un cri . Ce cri que je n’oublierai jamais , comme les paroles de ma mère au téléphone . Les repasser en boucle dans ma tête est une torture . Nous sortons .
Je ne sais plus trop ce qui s’est passé cette après midi . Je ne supporte pas d’être enfermée , alors je sors . Je vais au bout du chemin , surplomber le village . Dans les ronces , entremêlée , je vois une boule de pollen de pissenlit . Énorme , unique . Pas de pissenlit autour . J’y vois comme un signe . Je ne crois pas en Dieu , mais ce genre de chose entre bien plus dans mes propres croyances . Je la saisis délicatement , la souffle sur la vigne , cette terre pour laquelle il a tant travailler , sa fierté . Mon père vient me trouver .
« Je croyais que tu étais rentrée chez toi , tu m’avais dit que tu voulais un dessin .
-J’étais juste là . T’inquiètes , ça va » je rajoute en voyant son regard suspicieux . « J’ai pas pleuré .
-Tu devrais .
-Je peux pas , j’y arrive pas . »
Je l’accompagne faire trois courses . Il est arrivé en catastrophe bien sur , et il lui faut des habits pour l’incinération , demain . Je profite de ça pour restée seule avec lui .
On traîne dans le magasin , on regarde les ordinateurs , on parle avec ses anciens collègues . On oublie un peu . Mon attitude doit le détendre . C’est toujours cette enfant qu’il n’a pas trop à porter , il me connaît , sait que ce n’est pas encore mon moment . Il arrive même à sourire .
« Comme je dis , ça aurait été la dernière pirouette de Papy . Tiens , il aurait dit que c’était un beau jour pour mourir !
-Ouais , au moins on a pas de la pluie ! C’est assez triste comme ça sans que le ciel se mette à chialer aussi , hein ! »
Il me dépose chez moi . Je fouille fébrilement dans mes carnets . J’ai tellement peur de l’avoir oublié à Lyon … Ah , le voilà . Ce dessin qu’il voulait , que j’avais commencé devant lui , à Noël dernier . Je souris . Ce dernier Noël , nous l’avons passé tous ensemble . Mon Clan , comme j’aime le nommer , est un Clan qui se déchire vite de par les forts caractères qui le compose . Ce que j’ai toujours trouvé super débile . Je l’avais déjà fait remarquer à ma tante , un jour .
« Franchement , tu vois pas que c’est débile ? Tu viens de te réconcilier avec Tatie après des années , tu sais même plus pourquoi vous étiez fâchées . Alors on va pas s’engueuler nous pour un matelas pneumatique . Personnellement , je trouve ça puéril et inutile parce que moi , je te ferai la gueule trois heures , puis j’oublierai . S’il arrive un malheur bête , t’imagine les reproches ? A cause d’une connerie ? »
Elle m’avait pris dans les bras , m’avait dit que j’avais raison . Je doute que ça soit ça qui ait fait qu’on fasse le repas de Noël tous ensemble , sans aucune disputes . Ça n’était tout simplement pas arrivé depuis des années . C’était le plus beau cadeau que Papy et Mamie aient reçu depuis longtemps . J’avais peur de ça aussi , que l’un d’eux partent quand le Clan est déchiré … Mais ça n’a pas été le cas , et comme mes paroles de la veille , ça me soulage encore plus .
Je prends le dessin , que j’ai terminé depuis longtemps mais que j’oubliais sans arrêt de lui donner . C’est moi , enfin mon personnage , qui court . Comme s’il elle courait vers lui . Je retourne là bas . Je sais pas trop ce qu’il s’est passé ensuite . Le soir , je suis rentrée dormir chez Maman avec Pauline et Justine . Elles regardaient la télé , moi je suis allée sur l’ordinateur . J’avais tellement besoin d’en parler , de parler de tout et rien , tout le temps . Mon hyperactivité qui ressort dans les moments de forte pression m’a été utile . Je ne pouvais pas me focaliser sur quoi que ce soit , et donc pas sur cette mort. Je suis allé faire un topic sur DCP . J’avais pensé plusieurs fois à GM et sa façon de réagir quand son père est mort , quelques mois plus tôt . Ça m’aidait à ne pas culpabiliser de mon manque de réactions . Je suis allé sur le chat , Dash est venu me parlé , il a lancé le quizz . J’ai pu rire , délirer avec les autres , me débarrasser de la pression . C’était loin d’être finit , il me fallait souffler avant de continuer . Ma cousine est venu lire à côté de moi nos bêtises , et ça l’a fait rire aussi . Je me rends compte encore plus fort d’à quel point ils comptent pour moi . Aless , Faustine , Marjolaine , DCP . Ils sont loin , mais ils me sont plus précieux que tout parce qu’ils sont là , quoiqu’il arrive . Les différents messages m’aident à ne pas sombrer . Ma sœur part se coucher , avec Pauline on reste encore un peu . Nous gagnons notre chambre quelques temps après . Je lui passe une BD sur les fées , continue mon roman . Lire jusqu’à l’épuisement , pour ne pas trop penser dans le noir .
2ème jour .
La nuit a été … Bien , ni trop longue , ni trop courte . Pas de difficulté pour dormir , un rêve un peu bizarre mais positif quant à l’interprétation … C’est ce matin qu’on l’incinère . Il est tôt , nous repartons chez Mamie . Justine et Pauline ont préparé des photos . Ma tante Isa est là , mais pas encore mon oncle avec mes cousins . Je lui demande comment ils ont pris la nouvelle . Enfin Clément , je savais puisque son père l’avait mis au courant à midi . Tatie Isa me dit que Jordi n’a pas bronché , qu’il est allé cherché une perruque et fait l’idiot pour faire rire un peu ses parents et son frère . Je souris intérieurement . Je ne suis pas la seule .
Ils arrivent . Clément se met à pleurer avec Mamie , Jordi se contente d’aller comme moi prendre un peu tout le monde dans les bras . Nous nous saluons à peine . Lui comme moi savons inconsciemment qu’il y a mieux à faire que de s’écrouler . C’Est-ce que mon père me dira un peu plus tard . Fier et reconnaissant . Que nous , les deux grands du Clan , voyant les adultes s’effondrer et donc ne pouvant pas rassurer vraiment les plus petits , avons pris sur nous . Nous sommes encore entre les deux , mais il fallait deux piliers pour soutenir . Ma sœur viendra me remercier après . C’est parce que je ne pleurais pas qu’elle a pu s’apaiser un peu , parce que ça la rassurer d’ête dans les bras de quelqu’un qui ne pleurait pas .
Nous allons le voir une dernière fois , avant de fermer le cercueil . Clément pleure en silence , Justine sanglote avec Mamie , Jordi prend sa mère dans ses bras . Moi je sers encore Papa . On glisse les photos , le dessin . Une branche de laurier arrosée d’eau bénite , un cachet contenant la terre de la vigne , un ruban de baptême . Les gendarmes viennent sceller le cercueil . Je détaille une dernière fois le teint cireux , le visage détendu . Envie de dessiner , encore . Je me tais , sachant que cette idée horrifierai tout le monde . Mais je n’y peux rien .
Nous attendons l’heure pour partir . Je prend Clément dans mes bras . Justine aussi . C’est difficile d’être un peu partout . Je regarde ma cousine plier et déplier inlassablement un mouchoir .
Nous partons enfin . La voiture me berce , et me vient l’envie d’écrire . C’est là que ce texte prendra forme , rallongé à chaque voyage en voiture jusqu’à ce soir .
Le crématorium ressemble au hall d’un théâtre . Il y a d’abord la cérémonie religieuse . Je suis au premier rang , au bout , à côté de Jordi . Lui comme moi ne bougeons pas de la cérémonie . Je ne sais pas ce que la Sœur a raconté . J’ai fixé le sol tout le temps , serrant mon poing jusqu’à m’enfoncer les ongles dans la paume . Ça faisait mal . Tant mieux . C’est que j’étais en vie. Et si je n’arrivais pas à serrer assez fort , j’appuyais mon autre main . Geste imperceptible , on pensait que j’avais simplement les mains jointes . A la fin de la cérémonie , je montre les marques à mon père , dans un état second .
« Tu ne devrais pas faire ça . »
J’hausse les épaules . Nous pouvons assister à la crémation via un écran . Ma grand-mère refuse , moi j’y vais . J’imagine ça comme dans le film Wasabi . Je veux aller jusqu’au bout . Un film avec la mer , une main qui écrit avec une plume un texte récité par un homme d’une voix apaisante . Je maudis leur film et leur texte à la con . Sans ça , je n’aurais pas pleurer . On voit le cercueil devant le four , le film s’éteint . C’est hyper soft , bien plus que dans le film . Je retiens mes larmes jusqu’à la sortie de la salle . Ma mère est dans un coin , respectueuse. Après tout , elle n’est plus vraiment de la famille depuis que mes parents sont séparés , mais elle est là . Naturellement . Je vais la voir , pleure sur son épaule . Mon père nous rejoint , me caresse les cheveux .
« C’est difficile , de vouloir porter tout le monde , hein ? »
Un murmure . Il n’y a que moi , Papa , et Maman . C’est normal de pleurer un peu . Pas longtemps . Je sèche mes larmes , repart voir mes cousins et cousine , ma sœur . Notre grand cousin Michel nous invite à passer le reste de la matinée chez lui .
Ma mère repart à son travail , nous allons donc chez Michel . Les adultes prennent le café et décompressent , nous aussi . Les cinq enfants . Nous sommes dans le jardin , on va voir les poules , les lapins , on se bagarre , on rigole . Jordi me dit qu’il va retourner en classe cet après midi .
« T’es pas obligé .
-J’ai un contrôle important , et j’ai déjà loupé trop de choses . »
Un peu plus tard , il pose sa main sur mon épaule , me demande si ça va . Ouais . C'est à nous de ne pas flancher , hein ?
Justine et Pauline tiennent à aller au collège pour leur course contre le Faim , histoire de se changer les idées . Nous , on part au restaurant . On papote de tout et de rien avec Clément et Papa , la pression commence à se relâcher peu à peu .
On va ensuite déposer les fleurs au cimetière sur les tombes d’autres personnes de la famille . Des gens que je n’ai pas connu . Le cimetière est immense , j’aime bien déambuler parmi les tombes , c’est comme des œuvres d’arts , ou d’autre sont en lambeaux … J’ai jamais trouvé ça triste , les cimetières . Pour moi c’est un amoncellement de gros cailloux de différentes formes , rien de plus . On rigole avec Papa sur la tombe de Madame Culotte , mon portable se casse la figure après un superbe dérapage de ma part en fin de course parce que je me suis perdue (« Évidemment , y’en a qu’une pour courir dans un cimetière ! ») Je rentre chez moi . Je sais plus trop ce que j’ai fait non plus . Je finis mon livre avant de dormir . Iza et Creb meurent . Joyeux . M’enfin c’est pas comme si je l’avais pas lu déjà et que je m’y attendais pas , donc la répercussion est moindre , si ce n’est nulle .
3ème jour
Je me réveille à 15h . J’appelle Papa , qui vient me chercher . Ils ont mangé chez ma tante Iza , je regrette de ne pas m’être levée plus tôt , mais on me pardonne volontiers . J’avais besoin de récupéré . Jordi m'annonce qu'il a rendu feuille blanche , regrette de ne pas être resté avec nous au restaurant , hier . On ne reste pas longtemps , on part avec Papa au magasin à nouveau . On achète un ordinateur pour Margaux et Émilie , qui aura bien du mal à quitter le magasin … Papa m’offre les DVDs des Grimm et des Noces Funèbres . J’ai bien envie de faire chauffer la carte aussi , mais mon compte est vide . Je me venge sur la nourriture , heureusement le cerisier est plein , ce qui m’évite de manger trop de cochonneries .
Le soir , on embarque Clément et Pauline voir le spectacle d’Emilie , histoire de détendre un peu tout le monde . La soirée coule tranquillement , pizzas maison et cerises du jardin . Je vais dormir avec Papa chez Mamie . C’est étrange , ce sentiment d’oppression constant que j’ai . Je suis mal à l’aise . Passer devant la chambre close , en sachant qu’il n’y est pas … Et pourtant à chaque fois je dois retenir ma main qui s’avance vers la poignée . Je n’entends plus la radio avec laquelle il dormait .
Je reste avec Mamie regarder la télé , la 2 , comme c’est notre habitude souvent le samedi soir . Il faut toujours que je m’épuise avant de me coucher , pour ne pas rester dans le noir à trop penser . La nuit est stressante . Ce n’est pas comme si il était mort à l’hôpital . La chambre sera transvasée avec la bibliothèque , mais plus personne n’y dormira .
4ème jour
C’est le baptême de mon petit frère . Envie d’y aller comme de me pendre . Je n’écoute rien de la cérémonie . Je sais pas trop ce que j’ai promit de faire . Je suis la marraine , mais bon . Comme je dis , je ferai plus son éducation disneyenne que religieuse . Je dois quand même me retenir quand je croise le regard de Papa et Tonton dans la foule qui sont aussi convaincus que moi . Mais j’ai promis de me tenir . On allume des bougies pour Papy avec Papa , Pauline et Justine à la fin . Il faut aller au repas du baptême , mais aucune envie , parmi ces gens que je connais à peine . Ce n’est pas ma famille , ils ne savent rien je crois , et c’est difficile de répondre aux « Comment ça va ? » Je me retiens fortement pour ne pas les envoyer bouler . Finalement , on arrive à partir tôt avec Pauline . Papa est allé voir Jordi à son match de rugby . Ils ont gagné , il a pleuré , enfin . Le match a été un pretexte pour relacher sa pression .
On ramasse beaucoup de cerises . On rigole , je parle de plus en plus , sur tous et n’importe quoi . Mon hyperactivité est toujours là , je crie , je chante . Ma grand-mère a peur qu’on croit que je « chante sur sa mort » , mais je réponds que j’en ai rien à foutre des voisins . Je pense beaucoup à la mort . Je ne vois pas pourquoi ça serait obligé d’être quelque chose de triste . C’est vrai , j’ai hâte de mourir d’un côté , parce que je veux savoir ce que c’est , ce qu’il y a après . C’est loin d’être morbide comme pensée , c’est juste de la curiosité . Papa me fait la même réflexion . Moi , je crois pas au Paradis ou tout ça . Mais ya forcément quelque chose , je sais pas quoi , et j’ai hâte de le découvrir . Enfin hâte . Je vais quand même prendre mon mal en patience . Mais la mort , c’est juste un voyage . On était bien quelque part avant . On est bien quelque part après . Je ne veux pas voir la mort comme quelque chose de triste . On est déjà triste de perdre quelqu’un , pas besoin d’en rajouter en pensant que la mort est atroce . Ça fait peur parce que c’est l’inconnu , les gens voient ça systématiquement comme quelque chose d’horrible , mais en fait , si il faut , c’est super bien . Quand j’étais petite , j’avais une théorie comme quoi si le plus grand secret de la vie , c’était la mort , c’était parce que c’était tellement bien qu’il fallait pas qu’on le sache, sinon les gens se suicideraient tous . Ça dépend des croyances de chacun , après tout . Mais c’est déjà dur de perdre quelqu’un , l’enterrement matraque le moral encore plus … On a décidé avec Papa que le jour de notre mort , il faudra passer du rock , et non pas le « Larmoyant en si mineur » de Ludwig von Mouchoir .
Une voisine vient voir Mamie . Je les entends parler , j’entends Mamie raconter comment elle l’a trouvée . Mon oppression constante se rappelle à moi . Ça fait quand même 4 jours que j’ai envie de vomir d’angoisse .
Papa s’en va , j’ai pas envie . Je n’ai jamais envie qu’il reparte , mais là encore plus . Je reste dîner avec Mamie , Justine et Pauline . Elles vont rester y dormir , mais moi je peux pas . Je suis mal à l’aise , ici . Pas encore .
Je rentre chez moi , j’embrasse Maman , je passe de manière à ce que personne ne me voit . J’ai vraiment envie de vomir . Les cerises n’arrangent rien , mais c’est plus ce mal à l’aise . Je passe au premier étage embrasser Papy et Mamie . Papy dort déjà comme à son habitude . Mais je me retiens de pousser un cri , j’ai un coup au cœur de le voir endormi . On dirait qu’il est mort , lui aussi . Je me reprends bien vite quand il se réveille même s’il remarque que je tremble quand je l’embrasse .
Il est tôt encore , même pas 23h . Je met le spectacle de Gad Elmaleh , ça me détend fortement , je ris , j’oublie . Mais je ne suis pas encore fatiguée , alors je met un autre film .
5ème jour .
Je me réveille . Je ne pousse même pas au rez de chaussée . Pas envie de voir l’autre famille . Je me stoppe au premier étage , je laisse Papy me préparer le petit déjeuner , je déjeune avec eux . Je me laisse aller comme une petite fille .
Je m’échappe en ville durant l’après midi . Mon compte fait encore la gueule , je maudis l’erreur de ma fiche de paie . Tant pis .
J’ai toujours été très solitaire . Le plaisir de déambuler dans les rues et les magasins familiers que je connais depuis 18 ans , coupée du monde par de la musique , est un de ceux que je n’échangerai pour rien au monde . Les trois quart des ados trouveront ça chiant de marcher seul en ville sans but précis . Moi , c’est un de mes activités favorites . Je m’isole totalement dans une bulle qui n’appartient qu’à moi , je fais à peine attention aux gens qui sont autour de moi . Chaque coin de rue a une histoire , une anecdote , bien à moi ou à l’histoire . Je flâne ensuite dans la librairie . Je crève d’envie de me remplir un panier de livre mais je me retiens . Il faut quand même je songe à rentrer . D’habitude , en marchant , j’écoute ma musique , je pense à mes histoires , mes anecdotes , j’invente , je rêvasse . Là je pense aussi , mais à lui , à la mort , à mes réactions , à savoir si c’est réel ou pas . C‘est ma ville , c‘était la sienne , cette terre et cet héritage qui coulent dans mes veines , c‘est ici . J’essaie de réaliser mais je ne peux toujours pas . Je me rends compte avec un hoquet que je n’écoute pas les chansons , que je n’en ai pas conscience .
En rentrant , ma mère me trouve une drôle de tête , essaie de me faire parler . Je lui réponds sincèrement que je n’ai rien de particulier , que j’ai toujours la même tête après mes escapades solitaires , encore un peu dans ma bulle , même entièrement .
Elle appelle mon père , lui dit que je devrais rester ici la semaine . C’est tentant . Mais mon père veut que je retourne faire ma dernière semaine , que je vois du monde . Voir qui ? Il sait bien que là bas , je n’ai personne . Je vais me faire une escapade solitaire de cinq jours . Ça ne me dérange absolument pas , en temps normal .Mais là , je n’aurais plus personne à porter , à rassurer , à distraire . Juste moi face à moi . Et si je flanche , ce sera dans les bras de qui ? Personne . Ce me fait peur , mais il va bien falloir . Le téléphone et Internet ne seront jamais coupés , j’ai des projets , des choses à faire .
The show must go on . Cybèque !